Est significative la minoration de 14,1% du prix de cession de titres sociaux . C’est la position prise par le Conseil d’État pour l’évaluation des titres (CE 9e-10e ch. 7-4-2023 n° 466247 et 466244, min. c/ Sté Crédit Agricole).
L’affaire permet de revenir sur la méthode que l’administration utilise pour apprécier l’insuffisance d’un prix d’un actif immobilisé. C’est le caractère normal d’une cession des titres sociaux détenus par une entreprise qui est en jeu.
Les faits de l’espèce
Les titres d’une société non cotée ont été cédés en 2010 par une société du groupe. Le prix a été fixé à la valeur historique.
L’objet de la cession était de rationaliser les activités exercées par les sociétés du groupe. Il s’agissait de mettre fin à une activité de leasing automobile de la société dont les titres ont été cédés alors similaire à celle d’une autre filiale.
À noter : la société dont les titres ont été cédés était en cessation progressive d’activité, et son actif net était quasi-exclusivement composé d’un portefeuille de placements en trésorerie. Cette circonstance de fait a énormément impacté la solution du Conseil d’État.
Estimant que la cession a été réalisée à un prix inférieur à la valeur réelle des titres, l’administration fiscale a réintégré dans les résultats de la société cédante l’écart existant entre le prix de cession et la valeur vénale des titres. Cette valeur vénale a été déterminée par l’administration fiscale à partir de la seule méthode mathématique.
En application de la jurisprudence classique en matière d’évaluation, le tribunal administratif a annulé le redressement opéré. L’administration fiscale ne pouvait valablement déterminer la valeur vénale des titres cédés à partir de la seule méthode d’évaluation mathématique.
Tout en censurant ce motif, la cour administrative d’appel a confirmé la position du tribunal administratif.
La Haute juridiction a censuré l’arrêt d’appel.
La qualification d’acte anormal d’une cession d’actif à un prix significativement inférieur à la valeur vénale
Pour remettre en cause un acte de gestion, l’administration fiscale doit s’attacher à apporter les preuves :
- D’un appauvrissement de l’entreprise (preuve objective) ;
- Et, d’une intention de l’entreprise d’agir contre son intérêt (preuve subjective).
Pour le deuxième élément de preuve il a été admis par le Conseil d’État des présomptions d’intention. L’intention de l’entreprise d’agir contre son intérêt est alors présumé (simplement) :
- Lorsque l’entreprise accorde un avantage à un tiers avec lequel elle est en relation d’intérêts ;
- Ou, lorsque les actes passés par l’entreprise semblent si anormaux par nature que l’entreprise a nécessairement entendu les accomplir en ayant conscience qu’ils allaient à l’encontre de ses intérêts (ex. convention de trésorerie sans intérêts).
Depuis un arrêt d’assemblée plénière du 21 décembre 2018 (CE plén. 21-12-2018 n° 402006), le Conseil d’État a ajouté une présomption d’intentionnalité lorsque l’acte de gestion est une cession d’un élément d’actif immobilisé et que la cession a été réalisée à un prix significativement inférieur à la valeur vénale retenue par l’administration fiscale. C’est donc toute la question de la valorisation des titres qui était centrale en l’espèce.
Bon à savoir : pour écarter la présomption, le contribuable peut justifier que l’appauvrissement qui en est résulté (1) a été décidé dans l’intérêt de l’entreprise (2) soit que celle-ci se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix (3) soit qu’elle en ait tiré une contrepartie.
La seule méthode « mathématique » pour fixer la valeur réelle des titres cédés
En la matière c’est la méthode par comparaison qui est reine.
Toutefois, en l’absence de transactions similaires et rapprochées dans le temps, l’administration fiscale peut se fonder sur l’une des méthodes destinées à déterminer la valeur de l’actif ou sur la combinaison de plusieurs de ces méthodes.
La valorisation dite « mathématique » souvent utilisée comme première méthode à combiner avec d’autres (ex. méthode des « cash-flow futures ») peut être seulement retenue eu égard à la situation particulière de la société dont les titres ont été cédés. C’est ce qu’est venu valider le Conseil d’État en l’espèce. La combinaison de méthodes ne se justifie pas dans le cas d’une société en voie de dissolution. Ainsi, l’administration fiscale a été en droit de n’utiliser que la méthode mathématique.
À noter : la société dont les titres ont été cédés a été acquise non pas pour son potentiel économique, mais afin d’appréhender les actifs « à la découpe ».
Un écart de 14,1% entre le prix de cession et la valeur réelle est significatif
Finalement, se posait la question suivante : une minoration du prix de cession de 14,1 % peut-elle être regardée comme significative ?
Le Conseil d’État répond expressément qu’au regard de l’ensemble des circonstances de l’espèce un tel écart est significatif.
Le standard minimal de 20% retenu par la doctrine et la pratique est donc dépassé. C’est une application in concreto qui est privilégiée.
Ici, le Conseil d’État relève que le prix a été minoré de manière significative. Le caractère anormal est donc démontré.
À noter : in fine et en l’espèce les conséquences de cette validation du redressement sont l’application du régime des libéralités à l’opération de transfert des titres, rendant plus couteuse l’opération.
Dès lors, il convient pour les entreprises qui souhaitent céder des titres immobilisés (voire des actifs de manière générale) d’être vigilantes dans l’appréciation de la valeur vénale. En tout état de cause, il faut se ménager la preuve de la normalité de l’acte.
L’intervention d’un avocat fiscaliste tant en amont qu’en aval de l’opération est fortement recommandé pour éviter de tels déconvenues.