L’abus de majorité confirmé par la Cour de cassation

Publié le 1 Mar, 2020

Le fait majoritaire en droit des sociétés autorise les associés détenant la majorité du capital social à imposer leur choix aux minoritaires dans l’adoption de telle ou telle résolution soumise à la sagacité de la collectivité des associés.

L’utilité « antiblocage » d’une telle règle inspirée du système politique démocratique n’en demeure pas moins encadrée par la notion juridique d’abus de droit.

Bon à savoir.

L’abus de droit est le fait, pour une personne, de commettre une faute par le dépassement des limites d’exercice d’un droit qui lui est conféré, soit en le détournant de sa finalité, soit dans le but de nuire à autrui.

Appliqué au droit des sociétés, il n’est pas possible pour les associés majoritaires d’imposer un choix dès lors qu’il est fait dans leurs uniques intérêts.

Solidement installée en jurisprudence, l’abus de majorité en droit des sociétés est un outil efficace de protection des droits des associés minoritaires. Mais au-delà, c’est l’empêchement d’une confiscation du pouvoir par le ou les majoritaires au détriment de l’intérêt de la société qui est en jeu.

C’est ce dont témoigne, encore une fois, la décision de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 15 janvier 2020 (n° 18-11580).

Une décision des majoritaires jugée excessive 

Suite au décès d’un des trois cogérants-associés d’une SARL dans laquelle chacun dispose un tiers des parts sociales, les survivants ont pris en assemblée générale la décision d’augmenter leurs rémunérations de dirigeant.

Ils justifiaient cette décision en exposant le fait qu’ils « ont dû assumer le même travail à deux pour le temps restant de l’année et que le compte courant d’associé a dû être versé au notaire chargé de la succession ». 

S’ajoute la circonstance qu’étant proche de l’âge de la retraite, il n’y aurait rien d’anormal à tenir compte de leurs âges, qu’ils soient les fondateurs de l’entreprise et que leurs retraites soient imminentes pour fixer leurs rémunérations.

Quoi de plus légitime que d’être récompensé pour avoir assumé plus de travail que prévu et le travail d’une vie !

Les héritiers du défunt n’avaient pas la même version de l’histoire. Ils ont invoqué un abus de majorité et donc assigné la SARL et les deux survivants en annulation de l’assemblée générale ayant décidé d’augmenter la rémunération et en remboursement des sommes indûment perçues.

La cour d’appel a rejeté la demande des héritiers et retenu simplement que la SARL n’ayant pas été mise en péril il n’y avait pas lieu à considérer un quelconque abus.

Même si le résultat de la société est passé de 164.374 euros à 375 euros, la cour d’appel a relevé que le fonds de roulement « restait important par rapport aux salaires versés, qu’un montant de salaire de 75.000 euros n’apparaît pas excessif pour chacun des gérants au regard du chiffre d’affaires réalisé par l’entreprise ».

La Cour de cassation rejette sévèrement l’analyse de la cour d’appel.

La décision d’augmentation de la rémunération a été prise contrairement à l’intérêt social et dans l’unique but de favoriser les intérêts des deux associés cogérants.

La Chambre commerciale a en effet reconnu un abus dans la décision des majoritaires à se verser une rémunération moyenne 375 % fois plus importante (de 28.000 euros à près de 105.000 euros après le décès). L’excès est manifeste.

Rappel.

Un abus de majorité est caractérisé lorsque deux conditions sont réunies :

– La décision des majoritaires est contraire à l’intérêt social de l’entreprise ;

– La décision a été prise uniquement pour favoriser les majoritaires.

Encore et toujours, la « boussole » de l’intérêt social

La Cour n’a pas été dupe. Elle a censuré le comportement des associés survivants visant à empêcher que les héritiers de leur feu-associé puissent toucher le moindre centime.

L’intérêt de la société qui se marie en partie avec celui de l’intérêt commun des associés vient justifier la position de la Cour. Elle précise qu’en l’absence de « politique d’investissement corrélative » les associés majoritaires ne peuvent pas justifier une telle attitude peu respectueuse de la mémoire de leur cofondateur.

C’est aussi le droit le plus élémentaire des héritiers de détenir le tiers du capital social de la SARL et donc d’en percevoir une partie des bénéfices qui est préservé.

Le retournement des majoritaires à se distribuer habituellement d’importants dividendes (165.000 euros l’exercice précédent) a été relevé par la Cour comme un facteur démonstratif de l’abus.

C’est là encore une application classique de la jurisprudence.

Dans notre affaire, l’objectif des majoritaires était clairement d’évincer les minoritaires de tout partage des richesses créées par la SARL. 

Mais au-delà des minoritaires, c’est la société en elle-même qui n’a pas bénéficié de la nouvelle politique instaurée.

Si les comptes de la société n’avaient pas été prélevés pour remplir les comptes des majoritaires dirigeants la décision aurait pu être différente.

Les sommes auraient donc pu être à tout le moins mises en réserve. Dans ce cas il n’y aurait pas eu d’abus de majorité.

Remarquons que cet arrêt du 15 janvier 2020 a été rendu au visa de l’article 1240 du Code civil qui porte sur la responsabilité délictuelle. La notion d’intérêt social chère à la jurisprudence est en effet issu la référence permettant d’en déduire que son non-respect par les majoritaires est constitutif d’une faute causant un préjudice à la société.

Dans les prochaines décisions il pourrait être utile de faire référence la nouvelle version de l’article 1833 du même code à laquelle la loi PACTE a ajouté un second alinéa qui inscrit dans le marbre que : « la société est gérée dans son intérêt social, […] ». 

La responsabilité des majoritaires ayant un comportement abusif pourrait donc être reconnue plus facilement en ajoutant à l’argumentation classique que les décisions des associés devront être tournées vers l’utilité et la profitabilité attendues pour la société. Ce qui pour des minoritaires est la raison principale de leur présence dans une société.

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