Dans un environnement fiscal complexe, le contrôle des déficits reportables est un sujet d’importance capitale pour les entreprises. le déficit reportable est un outil de gestion fiscale et financière parfois crucial qui peut soutenir une entreprise dans différentes phases de son cycle de vie. Il est de même un outil pour l’administration fiscale en cas de contrôle fiscal, preuve en est la décision commentée (Conseil d’État, 8ème – 3ème chambres réunies, 05/07/2023, 464928).
Cet article expose le cas de d’une société qui s’est retrouvée en litige avec l’administration fiscale sur la question de la possibilité pour cette dernière à contrôler des déficits constatés en période prescrite.
Contexte du contrôle et de la procédure devant le Conseil d’Etat
La société concernée était visée par l’administration fiscale pour sa pratique de vente à une de ses filiales, installée à Hong Kong, lesquelles opérations ont été qualifiées de prix de transfert caractérisant un transfert de bénéfices à l’étranger.
En effet, la société a fait l’objet en 2012 et 2013, d’une vérification de comptabilité portant sur l’exercice ouvert le 1er avril 2008 est clos le 31 mars 2009, ainsi que sur les deux exercices suivants clos le 31 mars 2010 et 31 mars 2011.
Deux propositions de rectification ont été adressées à la société où l’administration fiscale a relevé le caractère chroniquement déficitaire de la société holding laquelle affiche des pertes d’exploitation très importantes (plusieurs millions d’euros). L’administration a alors imputé les déficits reportables dans le dessein d’en diminuer le stock disponible.
C’est sur ce dernier point que la société a engagé un pourvoi devant le Conseil d’Etat.
Se posait devant la Haute Juridiction la question de savoir si l’administration pouvait remettre en cause le montant des déficits déclarés par la société au titre d’exercices clos, lesquels étaient prescrits, dès lors qu’ils avaient contribués au montant des déficits reportables non encore imputés et dont elle avait déclaré disposer à la clôture d’un des exercices clos contrôlé ?
Sans surprise le Conseil d’Etat est venu confirmer sa jurisprudence et donner raison à l’administration fiscale
Droit de reprise de l’administration fiscale
L’administration fiscale dispose d’un droit de reprise pour corriger toute omission, insuffisance ou erreur dans les déclarations fiscales.
Ce droit est néanmoins limité par des délais de prescription, qui varient en fonction de l’impôt concerné. En ce qui concerne les l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés, l’article L. 169 du livre des procédures fiscale précise que ce droit de reprise « s’exerce jusqu’à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l’imposition est due ».
Bon à savoir : il faut relever que ce délai est étendu à 10 ans, lorsque le contribuable n’a pas déposé dans le délai légal, les déclarations qu’il est tenus de souscrire, ou qu’il n’a pas fait connaître son activité un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce.
La spécificité du déficit reportable
Le déficit reportable est une notion fiscale qui permet à une entreprise de reporter le déficit fiscal d’un exercice comptable sur les exercices suivants, dans le but de réduire son assiette imposable. Le déficit peut être reporté en avant pour être imputé sur les bénéfices futurs, et cela sans limite de temps.
L’entreprise peut ainsi réduire son impôt sur les sociétés en imputant le déficit des années antérieures sur les bénéfices des années suivantes, ce qui peut améliorer la gestion de sa trésorerie. Le déficit reportable peut être aussi utilisé lorsque l’entreprise le juge le plus avantageux, lui donnant une certaine flexibilité dans sa planification fiscale.
Comptablement, l’utilisation du report de déficit permet l’amélioration des indicateurs financiers et d’être en mesure de planifier plus efficacement ses flux de trésorerie futurs, ses investissements et son budget.
Droit de reprise sur les déficits reportables : l’administration n’est pas bridée
Lors d’un contrôle fiscal sur une entreprise pour un exercice donné, l’administration fiscale a le droit de vérifier et d’ajuster les déficits reportables indiqués par l’entreprise, même si ce déficit provient d’exercices antérieurs qui seraient prescrits.
La jurisprudence est constante en la matière, les déficits nés au cours d’exercices prescrits sont contrôlables et peuvent être remis en cause dès lors que lesdits déficits ont été imputés par l’entreprise sur les résultats d’un exercice qui lui n’est pas prescrit.
Il s’agit d’ailleurs là et comme le révèle le M. le rapporteur public Romain Victor dans cette affaire d’une volonté d’autoriser l’administration fiscale à rectifier sans attendre un montant de déficits susceptible d’être reportés en avant, pour protéger les intérêts légitimes de l’Etat dans la perception d’impôts futurs.
Or, le droit au report en avant des déficits subis par les sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés étant illimité, le droit reconnu à l’administration de contrôler la réalité des déficits peut donc remonter sans limitation dans le temps.
Dans l’arrêt commenté, le Conseil d’État complète sa jurisprudence en jugeant que l’administration reste fondée à exercer son pouvoir de contrôle et de rectification d’un déficit issu d’exercices antérieurs prescrits, et ce quand bien même ce déficit n’a pas été imputé sur les bénéfices de cet exercice, et est donc seulement susceptible d’affecter le résultat d’exercices ultérieurs par la voie du report déficitaire.
Bon à savoir : illimité dans le temps, le droit au report reste limité dans son quantum chaque exercice : 1 million € par an, majoré de 50 % de la fraction du bénéfice supérieure à ce plafond.
La décision du Conseil d’État souligne l’importance pour les entreprises de bien comprendre les subtilités du contrôle fiscal en matière de déficits reportables. Une connaissance pointue du droit fiscal est indispensable pour toute entreprise cherchant à optimiser sa situation fiscale tout en se conformant aux exigences légales. L’appui d’un avocat fiscaliste au fait de la jurisprudence fiscale et de la pratique de l’administration en telle matière est fondamental.