Correction de la valorisation par l’administration fiscale : précision du Conseil d’État sur le traitement fiscal des survalorisations d’apports en nature.

Publié le 28 Déc, 2021

L’associé principal d’une société lui a apporté l’usufruit temporaire des titres d’une autre société dont il est l’associé. En contrepartie de cet apport de titres il reçoit des titres de la première société ainsi qu’une soulte. Le même jour, l’usufruit des titres ainsi apporté est cédé à une autre société.

Dans le cadre du redressement fiscal de ce montage optimisant, l’administration a remis en cause la valorisation effectuée en estimant que l’usufruit temporaire était majoré de près de 5 fois de sa valeur réelle.

L’administration analyse cette survalorisation en un avantage occulte consenti par la société bénéficiaire de l’apport à son associé apporteur. En conséquence de cette appréciation, cet avantage devrait être imposé entre les mains de l’associé comme un revenu distribué. Des cotisations supplémentaires d’impôt sur les revenus et des cotisations sociales, avec les pénalités pour manquement délibéré étaient donc appliquées dans le cadre du recouvrement de l’impôt.

L’affaire est portée jusque devant le Conseil d’État qui rend un arrêt du 20 octobre 2021 (n°445685) venant infirmer l’arrêt de la Cour administrative d’appel qui avait validé la position de l’administration.

Les fondements du redressement fiscal

C’est en lisant les moyens en appel que se trouve l’explication du positionnement favorable de la Cour vis-à-vis du redressement opéré par l’administration fiscale.

La Cour a en effet justifié le redressement par l’interprétation qui veut que l’opération d’apport des titres par l’associé pour une valeur majorée est susceptible d’être regardée comme une libéralité octroyée par la société bénéficiaire de l’apport.

L’administration serait alors autorisée à considérer cette libéralité comme étant un « avantage occulte » au sens de l’article 111 du Code général des impôts (CGI).

Par application de cet article, l’avantage reçu, pris dans les contreparties (titres et soulte), est donc à considérer comme un revenu distribué, qu’il soit ou non prélevé sur les bénéfices.

C’est là relire la jurisprudence « Cérès », avec une application au cas d’un apport survalorisé.

Bon à savoir :

Les rémunérations occultes concernent les sommes régulièrement inscrites en charges mais qui sont versées à un tiers à l’entreprise mais non-désigné pour rémunérer un service, une fonction ou une quelconque opération reçue comme un prêt.

Les avantages occultes (ou encore dites « distributions occultes ») sont le plus souvent des dissimulations de recettes qui bénéficient aux associés.

« Cérès » ou la correction de la valorisation minorée d’un apport

Cette décision dite « Cérès » et de référence du Conseil d’État rendue en Assemblée plénière le 9 mai 2018 (n°387071), établie qu’une opération d’apport réalisée à un prix minoré par rapport à la valeur vénale et sans contrepartie, est en partie réalisée à titre gratuit. Dès lors, la libéralité devait être soumise à l’impôt sur les sociétés.

C’était la valorisation de l’apport d’actions d’une société à une autre qui était également en cause. Cette valeur de l’apport ayant été délibérément minorée par les parties en présence.

Or, l’administration fiscale, à l’occasion d’une vérification de la comptabilité de la société bénéficiaire de l’apport, a rehaussé le bénéfice imposable de cette dernière à hauteur de la différence entre la valeur comptable de l’apport et la valeur réelle des actions.

Le Conseil d’État saisi de l’affaire a d’abord réaffirmé le principe selon lequel les opérations d’apport sont sans influence sur la détermination du résultat imposable

Mais, ensuite, le Conseil a jugé que l’opération d’apport emporte des conséquences sur le résultat imposable dès lors que les parties à l’opération ont volontairement minoré la valeur d’apport des immobilisations, notamment pour dissimuler une libéralité consentie par l’apporteur à l’entreprise bénéficiaire.

Le Conseil d’État est ainsi venu autoriser l’administration fiscale à corriger la valeur d’origine des immobilisations apportées à l’entreprise pour y substituer leur valeur vénale et que les sommes représentatives de ces libéralités devaient être soumises à l’impôt sur les sociétés.

Cette décision était largement approuvée compte tenu du caractère frauduleux de l’opération, avec, à noter, une minoration significative de la valeur des actions de plus de 50%. De surcroit, les liens familiaux entre les personnes physiques participant au montage ont fini d’assoir une forte présomption d’intention libérale.

C’est donc fort de cette position du Conseil d’État que les juges du fonds dans le cas d’une survalorisation ont fait une application symétrique de cette jurisprudence « Cérès ».

Cependant, la Haute Juridiction en a décidé tout autrement.

Une cassation fondée sur une approche économique et civiliste

Le Conseil d’État a cassé la décision de la Cour administrative d’appel au motif que la surévaluation de l’apport ne se traduit pas par un appauvrissement de la société bénéficiaire de l’apport au profit de l’apporteur.

L’apporteur ne bénéficiait donc pas pour ce seul motif d’une libéralité taxable par le truchement de l’avantage occulte pris du c) de l’article 111 du CGI.

En effet, le Conseil d’État a adopté un raisonnement différent et basé sur une approche économique et civiliste.

Pour qu’une libéralité existe, il faut qu’il y ait une intention libérale de la part du donateur : il s’appauvrit et accepte que le bénéficiaire de la libéralité s’enrichît.

En l’état, d’une part, les titres apportés se retrouvant à l’actif de la société bénéficiaire de l’apport, son apporteur ne reçoit en contrepartie que des titres lui ouvrant des droits dans la société bénéficiaire. D’autre part, l’apport surévalué ne génère pas un appauvrissement de la société bénéficiaire en ce que cette remise de titres à l’apporteur ne lui coûte rien.

Si appauvrissement il devait y avoir, il serait à rechercher du côté des associés, lesquels seraient dilués par l’opération d’apport pour une valeur majorée.

En l’occurrence, la société bénéficiaire était composée de deux associés mariés et soumis à une imposition commune.

Il est donc à noter qu’une telle position du Conseil d’État aurait été différente si la société aurait été véritablement pluripersonnelle. Une dilution des droits des autres associés aurait été perçue comme un appauvrissement, et donc, dès lors que ces associés auraient ratifié l’acte d’apport pour une valeur majorée, ils auraient par la même consenti à une libéralité imposable.

C’est d’ailleurs cette voie de la taxation des droits de mutation à titre gratuit qui pourrait être envisagée par l’administration plus que la fiscalité directe.

Le rapporteur public dans cette affaire a d’ailleurs suggéré le fondement de la donation indirecte comme moyen de taxation. 

Dans l’hypothèse d’un apport à un prix majoré, il subsiste donc toujours un risque de la requalification en donation, laquelle pourrait être même qualifiée de « donation déguisée », et donc se voir appliquer le régime des droits de mutation à titre gratuit.

Ici, le risque sera représenté par le taux d’imposition aux droits de mutation à titre gratuit applicable sur l’écart entre la valeur réelle et la valeur comptable de l’actif apporté. Ce taux pouvant atteindre 60% en cas de donation entre personnes non-parentes. Le risque de redressement est donc colossal en prenant en compte également les pénalités fiscales.

Par ailleurs, il faut noter également que le risque n’est pas simplement fiscal et qu’il peut être doublé d’une sanction sur le plan pénal. En effet, la surévaluation frauduleuse d’un apport en nature par rapport à sa valeur réelle constitue un délit pénal que la loi punit d’un emprisonnement de 5 ans et/ou d’une amende de 375 000 €.

Autant de risques qui doivent être maîtrisés dans le cadre d’une opération d’apport, laquelle doit être réalisée avec l’appui d’avocat en la matière. Notre Cabinet intervient dans l’optimisation fiscale de ce type d’opération et participe de manière courante dans l’ingéniérie de l’entreprise et du patrimoine du dirigeant.

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