Partie 2/3
Dans notre précédent article nous évoquions les mesures prises par le Gouvernement pour limiter l’impact de la pandémie créée par le Covid-19 sur les loyers commerciaux et professionnels. Nous commentions alors les limites de l’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 dont l’objet est d’empêcher l’application des sanctions financières et juridiques pour les locataires.
Aujourd’hui, beaucoup de TPE et de PME restent exclues de ce dispositif et les entreprises qui seraient éligibles doivent être vigilantes quant aux conséquences pratiques d’un non-paiement ou d’un paiement retardé ou partiel des loyers.
Malgré les annonces gouvernementales, les loyers commerciaux ou professionnels restent dus à échéance et l’application d’un dispositif de faveur n’est pas assuré ni optimal pour régler la difficulté actuelle.
Le ministère de la justice a même récemment rappelé que la période dite « juridiquement protégée », issue de l’ordonnance n° 2020-206 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période, n’empêche pas le débiteur d’une obligation de somme d’argent d’être condamné, en cas d’inexécution, à devoir verser au créancier des intérêts et des pénalités de retard.
Il faut donc se tourner vers le droit positif pour connaître les règles juridiques qui justifieraient le défaut de paiement des loyers commerciaux ou professionnels.
Le cas de force majeure.
La pandémie de coronavirus est-elle un cas de force majeure qui justifie de ne pas payer des loyers commerciaux et professionnels ?
Nous serions tentés de répondre instinctivement par l’affirmative tant l’évènement a eu de conséquences sur nos vies quotidiennes et sur nos relations professionnelles.
Le ministre de l’économie et des finances l’a même déclaré pour les marchés publics de l’État.
Pour les baux commerciaux et professionnels ce n’est pas automatiquement le cas. Et pourtant, l’enjeu est de taille pour les bailleurs et les locataires.
Si le cas de force majeure est admis, le locataire peut justifier la suspension temporaire de son obligation de payer les loyers et le bailleur ne pourra pas rompre le contrat ni solliciter le remboursement après coup des loyers impayés.
Ce n’est qu’en cas d’empêchement définitif de payer les loyers que le bailleur pourrait justifier une rupture du bail commercial ou professionnel.
Comment définir la force majeure ?
Le premier alinéa de l’article 1218 du Code civil définit la force majeure :
« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. »
En d’autres termes, le cas de force majeure c’est l’évènement extérieur, imprévisible et irrésistible.
Pas de doute sur les deux premiers critères en ce qui concerne la pandémie Covid-19. C’est bien un évènement extérieur aux parties et, à condition que le bail ait été signé avant l’apparition de la pandémie, impossible à prédire au moment de sa conclusion.
Le critère de l’irrésistibilité est quant à lui plus délicat à admettre : il faut rechercher concrètement si le locataire qui est empêché d’exécuter ses obligations – i.e. le paiement du loyer – ne pouvait l’éviter par des mesures appropriées.
Les entreprises locataires concernées par l’interdiction d’accueillir du public pourraient-elles se prévaloir d’un cas de force majeure ?
Le gouvernement a interdit à des établissements spécifiques d’ouvrir leurs portes à leurs clients pendant la période de confinement pour limiter la propagation du virus.
La liste des établissements interdits d’accueillir du public a été précisée par le gouvernement dans son arrêté du 15 mars 2020 complétant l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19.
Sont visés les établissements recevant du public :
« – au titre de la catégorie L : Salles d’auditions, de conférences, de réunions, de spectacles ou à usage multiple ;
« – au titre de la catégorie M : Magasins de vente et Centres commerciaux, sauf pour leurs activités de livraison et de retraits de commandes ;
« – au titre de la catégorie N : Restaurants et débits de boissons, sauf pour leurs activités de livraison et de vente à emporter, le “room service” des restaurants et bars d’hôtels et la restauration collective sous contrat ;
« – au titre de la catégorie P : Salles de danse et salles de jeux ;
« – au titre de la catégorie S : Bibliothèques, centres de documentation ;
« – au titre de la catégorie T : Salles d’expositions ;
« – au titre de la catégorie X : Établissements sportifs couverts ;
« – au titre de la catégorie Y : Musées ;
« – au titre de la catégorie CTS : Chapiteaux, tentes et structures ;
« – au titre de la catégorie PA : Établissements de plein air ;
« – au titre de la catégorie R : Établissements d’éveil, d’enseignement, de formation, centres de vacances, centres de loisirs sans hébergement, sauf ceux relevant des articles 4 et 5. »
Ainsi, les locataires concernés par cette liste pourraient penser suspendre le paiement des loyers en notifiant à leurs bailleurs un cas de force majeure ayant entraîné une interdiction administrative d’ouvrir au public et les empêchant d’exploiter correctement le fonds de commerce.
Néanmoins, les bailleurs pourraient opposer que l’interdiction d’ouverture n’était pas insurmontable pour poursuivre l’activité commerciale du local qui peut ne pas avoir qu’une fonction de point de vente.
C’est l’exemple du restaurateur qui aurait pu poursuivre son activité en cuisinant dans le local et en réalisant des ventes en livraison ou à emporter. C’est le cas également du magasin de vêtement qui stocke ses marchandises dans son local et qui peut continuer réaliser ses ventes sur son site internet.
Quoiqu’il en soit et qu’elle que soit la situation administrative de l’entreprise locataire, en cas de contentieux, ce sera au locataire que reviendra la charge de démontrer que la situation créée par la pandémie de coronavirus a rendu insurmontable le paiement des loyers tel que prévu par le bail.
L’analyse de la clause sur la force majeure du bail et l’argumentation autour des circonstances particulières de chaque situation seront ainsi fondamentales pour déterminer les leviers juridiques à disposition pour emporter la conviction du juges des loyers civils et commerciaux
L’exception d’inexécution.
Certains pourraient s’engager sur cette voie pour s’exonérer du paiement des loyers. Après tout, si le local est inaccessible ou ne dispose pas de conditions de sécurité sanitaires suffisante, le bailleur ne satisfait pas à son obligation de délivrance du local et d’en assurer une jouissance paisible.
Le locataire étant privé de son local ou inexploitable dans des conditions qui n’engagent pas sa santé, celles de ses préposés et de ses clients, le bailleur n’exécuterait pas son obligation essentielle. En toute réciprocité, le locataire pourrait ne pas exécuter son obligation de payer les loyers.
En droit, ce serait se fonder sur le mécanisme de l’exception d’inexécution.
Il est néanmoins constant que la jurisprudence protège le bailleur de toute inexécution qui n’est pas de son fait.
Le locataire, qui se fonderait sur le non-respect par son bailleur de délivrance d’un local et d’en assurer la jouissance paisible, ne pourra pas longtemps résister à la circonstance de droit et de fait que le bailleur subit aussi la pandémie de coronavirus.
Le risque d’un motif infondé.
Quels sont les risques du locataire qui s’exonére de son obligation de payer le loyer sur motif infondé ?
Si le cas de force majeure n’est pas reconnu et l’exception d’inexécution infondée, les conséquences pour le locataire peuvent être désastreuses et irréversibles.
Un locataire qui ne paie pas son loyer sans justification valable, peut être expulsé du lieu où il exploite son activité et être condamné à payer toutes les conséquences financières de son inexécution : loyers impayés, clause pénale, pénalités de retard, dommages et intérêts.
Le bailleur suivra la procédure généralement décrite dans le bail.
D’abord, un commandement de payer les loyers non-réglés visant la clause résolutoire du bail sera délivré par un huissier de justice.
Si le locataire n’y répond pas favorablement, le bailleur saisira ensuite et en référé le juge des loyers commerciaux ou civils pour obtenir le règlement des loyers impayés et l’expulsion du locataire.
Un locataire avisé tentera donc d’engager le dialogue avec son bailleur avant de ne pas exécuter ses obligations contractuelles sur le fondement de la force majeure ou de l’exception d’inexécution.
Bon à savoir.
Dans le commandement de payer, la clause résolutoire doit être visée intégralement et reproduite telle qu’inscrite dans le bail pour être opposable au locataire.
Devant le juge, le locataire pourrait néanmoins se défendre en demandant des délais de paiement et argumenter des difficultés financières survenues dans son activité à cause de la pandémie de coronavirus.
Le bailleur relèvera donc de prudence en s’engageant dans une telle démarche contentieuse car il n’est pas assuré de récupérer son local dans l’immédiat ni d’être payé rapidement.
Il devra également envisager le cas où le locataire s’estime être en cessation de paiement et demande le bénéfice d’une procédure collective : sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaires.
En effet, l’article L. 622-21 du Code de commerce impose d’interrompre et d’interdire toute action en justice pour les créances nées antérieurement au jugement d’ouverture.
Les loyers antérieurs à l’ouverture de la procédure seraient – hors cas d’une sauvegarde – mis au rang de créances chirographaires.
Le bailleur a dès lors tout intérêt à engager un dialogue avec son locataire pour trouver des solutions permettant d’éviter la résiliation du bail et de lisser sur le moyen terme les possibilités de règlement des loyers.
La troisième partie de cet article consacré aux loyers professionnels en période de COVID-19 sera consacrée aux leviers permettant d’inciter chaque partie à un bail à renégocier les conditions de son exécution.