Déjà difficile de payer un impôt sur des plus-values, ça le devient d’autant dès que les sommes sur lesquelles l’imposition a été fixée n’ont pas été intégralement perçues.
L’article 150-0 A du Code général des impôts (CGI) ne serait-il donc pas inconstitutionnel lorsqu’il s’applique aux opérations avec crédit-vendeur ?
C’est cette question prioritaire de constitutionnalité qui a été transmise par le Conseil d’État au Conseil constitutionnel (CE QPC 9e-10e ch. 13-10-2021 n° 452773).
Le fondement de la rupture du principe d’égalité devant les charges publiques (art. 13 DDHC) a été invoqué par les requérants. En effet, ces derniers ont subi une imposition totale de la plus-value réalisée sur la cession des titres de leur entreprise alors que l’acquéreur auquel ils avaient accordé un crédit-vendeur a défailli financièrement.
Il est naturel de penser qu’un contribuable ne saurait subir un impôt sur des sommes en principe gagnées mais non encore effectivement versées.
C’est le principe de l’imposition du revenu disponible.
D’ailleurs, il est possible de trouver dans l’article 12 du CGI une expression de cette règle :
« L’impôt est dû chaque année à raison des bénéfices ou revenus que le contribuable réalise ou dont il dispose au cours de la même année. »
L’article 156 du même code peut aussi être retenu comme l’illustration de ce principe :
« L‘impôt sur le revenu est établi d’après le montant total du revenu net annuel dont dispose chaque foyer fiscal. »
Or, cette règle est concurrencée par celles du régime d’imposition des plus-values. Dans ce cadre le principe est que l’imposition de la plus-value se fait au jour du transfert de propriété.
La règle est ici compréhensible instinctivement car en matière de vente, le prix est payé en règle générale comptant. Mais, en pratique et surtout dans les opérations à enjeux comme les reprises d’entreprise il n’est pas rare, voire c’est très fréquent, qu’un crédit-vendeur soit octroyé.
Le crédit-vendeur et le fait générateur de l’imposition des plus-values.
Le crédit-vendeur est une modalité de paiement du prix de cession fréquemment utilisée dans les opérations de cession d’entreprise. Le vendeur y accorde à l’acquéreur la possibilité de lui régler une partie du prix de manière différée.
Un crédit-vendeur peut être accordé en totalité sur le prix de vente, mais il reste souvent utilisé sur une partie du prix, entre 30% à 50%, payable sur la durée définie, entre 3 à 5 ans.
Le vendeur endosse alors le rôle d’un banquier qui viendrait accorder une facilité de caisse à l’acquéreur. C’est bien ce mécanisme du crédit qui est utilisé : le vendeur reçoit un paiement comptant pour une partie du prix de vente et reçoit le solde du prix, sous la forme de mensualités.
Dans les reprises d’entreprises l’avantage est indéniable pour les deux parties. L’acquéreur préserve sa trésorerie et le vendeur vend à un prix satisfaisant.
Cela étant exposé, en matière d’imposition des plus-values les modalités de paiement et les évènements postérieurs au fait générateur de la vente n’influent pas sur l’imposition.
Dès qu’intervient un accord sur la chose et le prix, le transfert de propriété a lieu. Et c’est ce transfert de propriété qui déclenche l’imposition de la plus-value. Encore une fois, le transfert de propriété a pour obligation corrélative le paiement du prix.
Cette règle d’application très classique crée néanmoins une situation inédite dans le cas lui aussi très classique où un crédit-vendeur est accordé.
Que se passe t’il en cas de défaillance de l’acquéreur ?
C’est certain, les conséquences sont désastreuses pour le vendeur.
D’une part le vendeur n’est pas payé d’une partie du prix de cession. D’autre part le vendeur est tenu de régler l’imposition de la plus-value sur le prix fixé à l’acte.
Situation inique par excellence : le vendeur, amputé d’une partie des liquidités qu’il aurait dû percevoir, devra payer l’année de la vente, un impôt sur un prix qu’il n’aura pas totalement perçu.
L’article 150-0 A du CGI édictant une règle spéciale, l’impôt sur la plus-value totale constatée au jour de la vente s’applique qu’importe le principe de l’imposition du revenu disponible.
Malgré cette règle stricte, il n’en demeure pas moins que cet article prévoit des situations où l’impôt sur la plus-value n’est pas immédiatement exigible ou pourra être remboursé. C’est le cas d’une vente avec complément de prix qui ne sera taxable qu’à son encaissement et dans le cas d’une résolution de la vente par un dégrèvement de l’imposition.
Cependant, dans le cas soumis au juge constitutionnel, il n’existe aucun mécanisme correcteur applicable qui permettrait d’obtenir une réduction d’impôt en raison des sommes réellement reçues.
À tout le moins, et ce depuis le 1er janvier 2019, un vendeur peut demander un étalement du paiement de l’impôt sur la plus-value (art. 1681 F, I bis CGI), mais en aucun cas il ne pourrait demander une correction de son impôt.
Une QPC du dernier espoir ?
Ce sera donc au Conseil constitutionnel de se prononcer sur le caractère constitutionnel ou non de l’article 150-0 A du CGI.
Mais, il peut déjà être observé que si l’inconstitutionnalité peut être prononcée, il n’en demeure pas moins que le juge constitutionnel n’a aucun pouvoir pour intégrer un mécanisme correcteur dans la loi.
L’espoir des requérants n’est finalement visible que dans la pratique du Conseil des réserves d’interprétation qui permettrait aux sages de décider constitutionnel l’article 150-0 A du CGI à condition qu’il soit interprété ou appliqué de la façon qu’il indique.
Néanmoins, il reste possible que le Conseil ne retienne pas ces solutions et considère simplement que les mécanismes classiques du droit commun des contrats ou des sûretés auraient suffis à protéger les vendeurs d’une défaillance des acquéreurs.
Une clause de réserve de propriété, une caution, une hypothèque, un gage ou encore un nantissement auraient pu être négociés avec l’acquéreur. De cette manière le vendeur, même s’il n’est pas payé pourra engager les garanties prises et compenser sa perte.
Utiliser le crédit-vendeur est une solution certes opérationnel, néanmoins il ne faut pas oublier que comme dans tout crédit, il est toujours utile de prévoir une prise de garantie.
En effet, il est tout à fait envisageable que le Conseil considère que ce n’est pas à l’Administration fiscale de subir la carence des vendeurs dans la négociation de la vente des titres de leur entreprise.
D’où l’intérêt en pratique de bien négocier la reprise d’une entreprise pour éviter des mésaventures liées à un défaut de connaissance des risques financiers que certains mécanismes juridiques entraînent. Il est donc fortement recommandé de se faire accompagner par un avocat en la matière qui saura informer et proposer des solutions protectrices.