Les absents n’ont pas toujours tort. En tout cas c’est le sens qui pourrait être donné à l’arrêt de la 3e chambre civile de la Cour de cassation en date du 5 janvier 2022 (n°20-17.428).
Un associé absent à l’assemblée d’une société civile a ainsi pu obtenir la nullité des résolutions prises malgré l’unanimité des présents à l’assemblée.
Se posait ainsi la question de savoir si la nullité, la plus forte des sanctions civiles, pouvait être retenue bien que la majorité des associés de la société et tous les associés présents à l’assemblée avaient approuvé toutes les résolutions mises au vote.
La Haute juridiction tranche : l’unanimité des associés doit s’entendre des associés de la société et non des associés présents à l’assemblée.
Retour ainsi sur la décision de la Cour de cassation qui précise le caractère impératif de l’article 1852 du Code civil.
Un pourvoi pour sauver les résolutions prises
L’assemblée générale d’une société civile immobilière (SCI) avait adopté des résolutions portant sur l’approbation des comptes, le quitusdonné aux cogérants puis à l’administrateur, l’affectation des résultats et la rémunération de l’administrateur.
Un des associés de la société n’était ni présent ni représenté à cette assemblée qui n’avait ainsi réuni que 75% des parts sociales de la société. Les résolutions ont été prises à l’unanimité, non des associés de la société mais seulement des présents à ladite assemblée.
L’associé qui n’a pas participé à l’assemblée a sollicité l’annulation de l’assemblée et donc des décisions prises sans son vote. La cour d’appelprononce la nullité des résolutions prises par l’assemblée avec toutes les conséquences que cela entraîne, notamment le recouvrement des dividendes versés et l’approbation des comptes.
La SCI se pourvoit en cassation. C’est le texte de l’article 1852 du Code civil qui est visé : « les décisions qui excèdent les pouvoirs reconnus aux gérants sont prises selon les dispositions statutaires ou, en l’absence de telles dispositions, à l’unanimité des associés ».
Selon la SCI, l’unanimité des associés nécessaire à la prise des décisions de l’article 1852 du Code civil doit se comprendre sauf stipulation contraire des statuts de la société́, de l’unanimité́ des associés présents ou représentés lors de l’assemblée générale. La SCI ajoute que la règle de l’unanimité des associés issue de l’article précité n’est pas une règle impérative et que la sanction de l’annulation des résolutions est inappropriée.
La Cour de cassation rejettera cette argumentation et confirmera que l’unanimité des associés prévue par l’article 1852 du Code civil doit s’entendre de l’unanimité de tous les associés de la société.
À défaut d’aménagement statutaire, l’unanimité des associés s’impose
C’est une première pour l’article 1852 précité. La Haute juridiction consacre dans son arrêt que ses dispositions sont impératives au sens de l’article 1844-10 du même code, et ainsi que la violation du principe d’unanimité ou des règles statutaires qui aménagent cette unanimité est sanctionnée par la nullité.
Rappel :
Article 1844-10 du Code civil : « La nullité de la société ne peut résulter que de la violation des dispositions de l’article 1832 et du premier alinéa des articles 1832-1 et 1833, ou de l’une des causes de nullité des contrats en général.
Toute clause statutaire contraire à une disposition impérative du présent titre dont la violation n’est pas sanctionnée par la nullité de la société, est réputée non écrite.
La nullité des actes ou délibérations des organes de la société ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du présent titre, à l’exception du dernier alinéa de l’article 1833, ou de l’une des causes de nullité des contrats en général. ».
Dès lors, ce caractère impératif ne s’impose que si les associés n’ont pas prévu de dispositions statutaires pour la prise de décision excédant les pouvoirs du gérant.
En effet, la Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir « exactement retenu que la violation des règles […] légales relatives à l’adoption, par l’assemblée générale, des décisions excédant les pouvoirs du gérant relatives à l’approbation des comptes […] [doit être] sanctionnée par la nullité ».
Le caractère impératif du texte s’impose, compte tenu que les associés n’avaient pas prévus de règles statutaires. Dans le cas contraire, les associés prévoient des aménagements, alors c’est la force obligatoire des conventions qui vient donner le caractère impératif aux dispositions statutaires qui dérogent à l’unanimité légale posée en principe.
Par conséquent, les associés sont tenus de respecter le pacte social et sa violation entraîne la même conséquence que celle prévue par la solution légale : la nullité des délibérations.
Enfin, et c’est là l’apport majeur de cet arrêt, l’unanimité devrait s’entendre de l’unanimité des associés, « y compris ceux absents à l’assemblée ». Il faut donc en déduire que si un des associés de la société n’est pas présent à l’assemblée et que les délibérations portent sur des décisions excédant les pouvoirs du gérant, les délibérations approuvées pourraient être sanctionnées par la nullité.
Réduire le risque de la très contraignante unanimité
En pratique, il est courant pour les professionnels du droit d’exposer les contraintes du principe de l’unanimité pour l’adoption des décisions collectives et d’éventuellement l’écarter dans les statuts. Il est autorisé de prévoir des conditions de majorité identiques qu’importe la décision à prendre, ou de prévoir des règles de majorité qui diffèrent selon la nature et l’importance des décisions.
Il n’est ainsi pas interdit de prévoir des conditions de majorité qualifiée pour toute décision entraînant la modification des statuts. Il peut également être prévu que le calcul de la majorité s’effectue en capital ou en nombre (par associé), ou en nombre et capital. Les statuts peuvent aussi prévoir que seuls les associés présents ou représentés seront comptés pour la majorité, ou l’unanimité, de sorte à éviter tout blocage.
Au-delà de ces aménagements statutaires il est aussi possible de pallier l’absence d’un associé à une assemblée en ayant recours soit à la consultation écrite, soit à la ratification de l’acte par l’associé absent.
En effet, les statuts peuvent prévoir que toutes ou certaines décisions peuvent résulter d’une consultation écrite. Dès réception des documents nécessaires à l’information des associés, chacun dispose d’un délai d’au moins 15 jours pour émettre son vote par écrit.
Bon à savoir :
Le refus de participer à une consultation écrite est assimilé à une absence de réponse.
Enfin, le consentement de tous les associés exprimés dans un acte, même à défaut de stipulation statutaire, permet de valider la décision prise. Cette modalité de prise de décision est souvent pratique pour sauver des décisions menacées de nullité et donc de permettre d’établir par écrit le consentement de tous les associés.
Néanmoins, cette facilité est à manier avec précaution et rigueur d’autant qu’elle n’a d’utilité que si chaque associé est d’accord.
Dans le cas qui a retenu notre attention il est manifeste qu’un des associés n’avait aucunement l’intention de voter favorablement aux décisions. Mais ce contentieux aurait pu être évité, à tout le moins maîtrisé.
La question juridique de la validité des décisions prises en assemblée n’est que l’expression encore une fois d’une conséquence de statuts de société civile mal rédigé sans compréhension de l’impact de certaines clauses pourtant cruciales. Des statuts bien réfléchis et rédigés combinés à un pacte d’associé cohérent et efficace auraient permis de s’éviter un contentieux lourd et couteux entre associés, d’autant que cela peut être dévastateur pour une société.